Cuisiner chez soi serait-il la clé d’une meilleure santé ? Alors que les autorités sanitaires valorisent de plus en plus le fait-maison, les études scientifiques restent nuancées. Décryptage d’une pratique aux multiples facettes, entre équilibre nutritionnel, enjeux sociaux et opportunités pour les acteurs de l’alimentation.
Le retour discret mais stratégique de la cuisine à domicile
Dans un article récemment publié par l’Institut For a Positive Food, Nicole Darmon — directrice de recherche honoraire à l’INRAE et membre de son conseil scientifique — propose une analyse approfondie des liens entre cuisine à domicile, alimentation et santé, à la lumière des données scientifiques disponibles et des enjeux sociaux contemporains.
Depuis plusieurs décennies, le temps passé en cuisine ne cesse de diminuer, notamment sous l’effet de la féminisation de l’emploi et de l’essor d’une offre alimentaire pratique, variée et accessible. En 2010, les foyers français y consacraient en moyenne 53 minutes par jour. Et pourtant, cuisiner à domicile fait un retour en grâce dans les discours de santé publique.
Mais peut-on réellement affirmer que cuisiner soi-même permet de mieux manger ? La réponse n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. D’abord, parce qu’il n’existe pas de définition claire et consensuelle de la « cuisine à domicile » : temps passé, plaisir de cuisiner, usage d’ingrédients bruts, fréquence des repas partagés… Autant de facettes d’un même objet d’étude, souvent abordées de manière partielle et hétérogène par les chercheurs.
Cuisine maison : quels bénéfices prouvés sur la santé ?
Les autorités sanitaires telles que le PNNS, l’OMS ou la FAO encouragent la consommation d’aliments peu transformés et la pratique du fait-maison. Mais que dit réellement la science sur le lien entre pratiques culinaires et santé ?
Les repas pris à domicile sont en général plus riches en fruits, légumes et nutriments essentiels que ceux consommés à l’extérieur, souvent trop gras ou sucrés. Certaines études indiquent aussi qu’un foyer où l’on cuisine fréquemment est associé à un meilleur équilibre alimentaire… sauf dans les catégories les plus modestes, où le lien est plus faible.
Des recherches plus poussées montrent des effets potentiellement positifs de la cuisine sur le risque d’obésité ou de diabète de type 2, notamment grâce à une consommation accrue de produits bruts et une meilleure gestion du poids dans le temps.
Cependant, d’autres résultats viennent nuancer ce tableau : cuisiner davantage pourrait aussi mener à des repas plus caloriques, et même à un risque accru de syndrome métabolique chez certaines femmes. La conclusion est claire : cuisiner peut être bénéfique, mais n’est ni une garantie de santé ni une condition indispensable à une alimentation équilibrée.
Derrière les fourneaux : inégalités et motivations
Cuisiner est loin d’être une pratique neutre. En France, 75 % du temps passé à cuisiner est du temps féminin. Les femmes de statut socio-économique faible sont les plus concernées, souvent par contrainte et sans disposer des équipements adaptés. À rebours des idées reçues, les foyers modestes cuisinent davantage que les foyers favorisés, ces derniers ayant plus souvent recours à la restauration hors domicile.
La cuisine est aussi porteuse de valeurs : elle permettrait de se reconnecter aux autres, de se sentir utile, autonome, et même de prendre soin de ses proches. Un discours qui, s’il est porteur de sens, doit être manié avec précaution : inciter à cuisiner ne doit pas renforcer les inégalités de genre ni culpabiliser celles et ceux pour qui cette activité est vécue comme une corvée.
Quel rôle pour les marques d’ingrédients et les acteurs de la nutrition ?
Pour les entreprises du secteur alimentaire, ces enseignements ouvrent de nombreuses pistes. Promouvoir des solutions qui valorisent la cuisine maison – sans l’idéaliser – peut répondre à plusieurs tendances clés :
- Santé et prévention : mettre en avant les bénéfices d’ingrédients simples, fonctionnels, peu transformés, qui facilitent la préparation de repas équilibrés.
- Accessibilité et praticité : développer des produits pensés pour des foyers à faible pouvoir d’achat ou disposant de peu de temps et d’équipements.
- Valorisation du savoir-faire : créer du contenu (recettes, tutoriels, ateliers) qui redonne confiance, renforce l’autonomie alimentaire et recrée du lien autour de la cuisine.
- Responsabilité sociale : intégrer une réflexion sur la charge mentale et l’égalité des genres dans les messages et actions de marque.
Certaines initiatives inspirantes – comme les cours de cuisine à impact social ou les ateliers encadrés par des chefs reconnus – montrent que les programmes bien conçus peuvent renforcer l’estime de soi, améliorer la qualité de vie et générer un vrai impact nutritionnel. À condition qu’ils soient adaptés, intensifs, interactifs et ancrés dans le quotidien des participants.
Conclusion : cuisiner, un levier parmi d’autres pour bien manger
La cuisine maison n’est pas indispensable pour manger sainement. Mais elle peut devenir un véritable levier si elle est choisie, accessible, valorisée – et non imposée. En revalorisant le plaisir de cuisiner, la diversité des aliments bruts et le lien social des repas partagés, les marques et acteurs de la nutrition ont un rôle à jouer pour accompagner ce mouvement de manière inclusive, réaliste et positive.
Source :
Nicole Darmon, Directrice de recherche honoraire, chargée de mission à l’INRAE, membre du Conseil scientifique de l’Institut For a Positive Food.
D’après : Cuisiner à domicile : quels enjeux pour l’alimentation et la santé ?, Institut For a Positive Food, mai 2025.