L’influence insoupçonnée de l’odorat sur la prise alimentaire

Et si notre odorat était le chef d’orchestre silencieux de nos envies alimentaires ? Une étude récente parue dans Nature Metabolism explore comment notre nez influence directement l’appétit, via des mécanismes biologiques étroitement liés au métabolisme et au système nerveux. Une découverte qui éclaire d’un jour nouveau la complexité de notre rapport à la nourriture.

L’odorat, un acteur clé dans la régulation de l’appétit

Depuis longtemps, on sait que les odeurs alimentaires peuvent ouvrir l’appétit ou au contraire provoquer du dégoût. Mais les chercheurs ne savaient pas précisément comment l’odorat modulait la prise alimentaire sur le plan biologique.

Dans une étude publiée en juin 2025 dans Nature Metabolism par un consortium de chercheurs dirigé par le Dr Céline Riera (Cedars-Sinai Medical Center, Los Angeles), les scientifiques montrent que l’olfaction ne se contente pas d’évoquer des souvenirs ou de stimuler l’envie de manger : elle active également des circuits métaboliques profonds, influençant la sécrétion d’insuline, la sensibilité à la leptine et le métabolisme énergétique global.

L’étude démontre notamment que priver des souris de leur capacité à sentir les odeurs perturbe leur prise alimentaire, leur poids corporel et leur réponse hormonale, même avec un régime identique. Inversement, restaurer l’odorat réactive certaines voies métaboliques favorables à la régulation de l’appétit.

Une découverte d’importance pour la compréhension de l’obésité

Ce qui rend cette étude particulièrement novatrice, c’est le lien mis en évidence entre l’odorat et l’hypothalamus, le centre de contrôle du cerveau qui régule l’appétit et la satiété. Les chercheurs ont identifié un axe olfactif-métabolique qui passe notamment par l’activation de neurones AgRP (Agouti-related peptide), connus pour stimuler la faim.

Chez des souris privées d’odorat, ces neurones restent inactifs même en état de jeûne, ce qui pourrait expliquer une perte d’appétit. À l’inverse, chez les souris exposées à des odeurs alimentaires sans possibilité de consommer la nourriture, l’activation de ces neurones augmente. Autrement dit, sentir la nourriture sans pouvoir y accéder stimule les signaux de faim.

Ces résultats suggèrent que la stimulation olfactive pourrait avoir un effet métabolique indépendant de la consommation réelle d’aliments. Cela ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques dans la prise en charge de l’obésité et des troubles de l’appétit :

  • Chez les patients obèses, une hypersensibilité aux odeurs alimentaires pourrait favoriser la surconsommation.
  • Chez les patients âgés ou dénutris, stimuler l’odorat pourrait réactiver l’envie de manger et améliorer l’apport nutritionnel.

Quelles applications pour le secteur des ingrédients alimentaires ?

Pour les acteurs de l’agroalimentaire et des ingrédients, ces découvertes sont loin d’être anecdotiques. Elles invitent à reconsidérer l’importance stratégique de l’olfaction dans l’innovation produit, en particulier dans trois directions :

1. Créer des profils olfactifs adaptés aux besoins nutritionnels

Plutôt que de seulement chercher à renforcer le goût, les formulateurs pourraient développer des arômes spécifiquement conçus pour stimuler l’appétit dans certains contextes (seniors, récupération post-maladie, nutrition clinique).

2. Jouer sur les arômes pour moduler l’envie de manger

Certains ingrédients ou associations aromatiques pourraient être utilisés comme « modulateurs olfactifs » pour limiter les prises alimentaires excessives (snacking) ou au contraire pour accompagner les programmes de renutrition.

3. Explorer les effets des arômes sur le métabolisme

Avec l’appui de la recherche, certaines molécules odorantes pourraient être sélectionnées pour leur impact non pas sur le plaisir sensoriel, mais sur les signaux hormonaux de satiété et de faim.

Dans un contexte où les approches sensorielles et nutritionnelles tendent à se rapprocher, cette nouvelle compréhension de l’axe nez-cerveau-métabolisme ouvre des pistes précieuses pour les services R&D, marketing sensoriel et nutrition santé.

Conclusion – L’olfaction, un levier stratégique encore sous-exploité

Si l’on connaissait déjà l’importance des arômes en formulation et dans l’expérience sensorielle, cette étude rappelle que leur rôle est plus profond encore. En influençant directement les circuits de la faim et de la satiété, l’odorat apparaît comme un régulateur essentiel de notre comportement alimentaire.

Les marques qui sauront intégrer cette dimension dans leurs développements produits, notamment dans les domaines de la nutrition clinique, du healthy snacking ou du vieillissement en santé, pourraient y trouver un véritable levier de différenciation.

Et si, demain, les arômes devenaient des ingrédients santé à part entière ?

Source


Riera, C. et al. Odor perception modulates food intake via hypothalamic AgRP neurons. Nature Metabolism (2025). DOI: 10.1038/s42255-025-01301-1

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